Un grand coup de coeur pour ce roman construit de façon très particulière, sous forme d'un roman, d'une enquête et d'un album musical.
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L'histoire
L'auteure a acheté sur Internet un lot 250 photographies d'une famille qu'elle ne connaissait pas. A partir de ces images instantanées, elle va d'abord imaginer ce que pouvait être leurs vies et leurs destins. Et elle partira ensuite à leur rencontre, dans la « vraie vie ». Son ami, Alex Beaupain a proposé de composer un album chanté à partir de ces histoires, inventées ou vécues. Ce livre contient donc un roman, un album photo, le journal de bord de l'enquête et un album de chansons.
Mon avis
Un chef d’œuvre. Les mots manquent pour décrire les impressions qui accompagnent cette lecture et suivent les instants d'après et d'encore après. J'ai été profondément touchée par ce livre. Autant par la fiction qui prend racine dans le terreau des photos que par l'enquête qui a suivi pour connaître la « vraie vie des vrais gens », par les chansons écrites en mémoire de tout cela, et par les photographies, bien sûr.
Ce livre est une ode à la vie, au temps passé, aux instants perdus, aux moments à venir. Un creuset retenant les poussières d'une époque particulière, les années 1970.
Au delà des thèmes qui jalonnent le texte (l'abandon, la place des femmes, la vie à la campagne, la mort...), ce qui est peint ici touche à l'universalité, avec une sensibilité incroyable.
L'écriture est poétique, l'écriture est sincère. L'auteure sait saisir la vie, l'existence, mais aussi la pureté des êtres avec une finesse vraiment saisissante.
Un grand coup de cœur.
Extraits
"Les romans sont des abris où retrouver les disparus. Écrire, c'est construire leur refuge, assembler des branchages, bâtir des murs, préparer les lits, penser à la liste des courses et aux chansons que l'on chantera après le repas. C'est les attendre au bout du chemin, la nuit tombée déjà, ils sont en retard." p. 220 (Edition Pocket).
"Je ne sais toujours pas dire précisément ce qui m'émeut dans les photos. Elle me parlent de ce qui se vit et se meurt en même temps. Elles me racontent la beauté de l'instant unique qu'on ne revivra jamais. Elles me chantent l'effort vain de l'humain pour retenir la vie. Tracer un trait sur la paroi de la grotte, modeler une glaise, graver le tronc d'un arbre, fixer la lumière sur la pellicule. Écrire un mot. Dire j'étais là, tu étais là." p.220
"On ne retient pas la vie, on peut juste s'en souvenir. La vie est comme les secondes, elle se fiche de nos efforts, elle coule dans son perpétuel effacement. Du sable entre les doigts, une goutte d'eau sur une pierre chaude". p.223
"Je n'ose pas vous dire, Michel, que votre vie est intéressante, comme celle d'un nourrisson de six jours, d'une sœur morte trop tôt ou d'un vieillard disparu trop tard, elle est universelle et singulière, elle est par essence bouleversante , que je crois à çà dur comme fer, que c'est même la seule chose en laquelle je crois." p. 311
"Je vais les connaître, ils vont me faire confiance, ils me raconteront des choses, m'en cacheront d'autres, ils pleureront, ils riront, ils s'étonneront de me dire tout cela. Je sais pourtant que je n'accéderai pas à leur intérieur. Je n'aurai jamais que l'enveloppe des gens". p. 336
"Ils cherchaient ce que cherchent tous les fouilleurs de passé : une trace d'avant qui dirait qu'on est là pour longtemps". p.338-339.
"Elle sait, d'instinct, qu'on se cache toujours derrière ce que l'on est pas." p.359.
"Elle aurait préféré un père qui sache transformer son fardeau en force plutôt que cet homme qu'on échoue à consoler." p.359
"Je ne sais pas, Laurence, te dire que chercher ta famille c'est comme trouver la mienne. Je ne sais pas te dire mon pressentiment de l'effacement de tous les instants importants, de la vacuité de nos petites mémoires, de l'absurde merveilleux de la vie qui passe comme une photo, en une génération s'oubliera." p.363-364
« La même tentative vaine de conserver des traces matérielles, même infimes, de ce qui fut.
Tout garder, si cela était possible.
Ça a existé, çà a été, regarde, des instants.
Ça a été, ce n'est plus.
Le pour rien de la vie qui se défile.
Un pas dans la neige » . p.379
"On ne raconte pas à tout le monde les moments d'intimité. S'il faut vraiment en dire quelque chose, on choisit des mots aux épaules assez larges, des mots gardes du corps. On dit Chaleur Émotion Chance Joie Affection, c'est dire les choses sans les dire, c'est les transformer directement en souvenirs. En les formulant on les termine." p.387
Note : 5/5
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Editions JC Lattès
Parution le 2 septembre 2015
370 pages
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